P. Pénet et al. (éds): Sovereign Debt Diplomacies

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Titel
Sovereign Debt Diplomacies. Rethinking Sovereign Debt from Colonial Empires to Hegemony


Herausgeber
Pénet, Pierre; Flores Zendejas, Juan
Erschienen
Oxford 2021: Oxford University Press
Anzahl Seiten
384 S.
von
Avaro Maylis

Édité par Pierre Pénet et Juan Flores Zendejas, ce livre collectif étudie les conflits de dettes souveraines entre les pays emprunteurs et leurs créditeurs du XIX e siècle à aujourd’hui. Il est le fruit d’une discussion entre un groupe de vingt chercheurs travaillant sur ce thème à partir d’approches et de périodes différentes. La première richesse de leur travail consiste dans l’interdisciplinarité des méthodes. Parmi les contributeurs, l’histoire et l’économie sont représentées, mais aussi la sociologie, le droit, les relations internationales, les sciences politiques et la finance. Dans leur dialogue, les auteurs s’appliquent à prendre en compte les circonstances historiques, politiques et sociologiques ayant permis ou limité les interventions des États créditeurs et les recours juridiques face aux dettes souveraines impayées. La seconde richesse est la diversité des cas étudiés. Certains chapitres se concentrent sur l’étude du cas d’un pays à partir d’archives originales: l’Allemagne d’après-guerre étudiée par L. de la Villa dans le chapitre 6, ou encore le Mexique durant la même période étudié par G. Del Angel et L. Pérez-Hernandez (chapitre 5). D’autres ont opté pour une approche comparative, par exemple en mettant en miroir l’histoire des dettes égyptiennes et tunisiennes au moment de la colonisation par l’Angleterre et la France ou en analysant les trajectoires de rendement des dettes des colonies anglaises dans l’entre-deux-guerres (chapitre 4, Degive et Oosterlinck). L’histoire de la pensée est également présente, avec des focus sur des acteurs clés des débats sur la dette des pays du Sud, tels que Mohamed Bedjaoui, ambassadeur algérien et membre de la Commission de Droit International des Nations Unies de 1965 à 1982 (chapitre 8 par G. Mallard et 9 par M. Waibel). L’histoire coloniale est un pivot de l’ensemble des travaux. Les auteurs montrent comment l’histoire des litiges sur les dettes souveraines est intimement liée à celle des Empires coloniaux au XIX e siècle et comment le recul de ces derniers, au XX e siècle, a transformé les marchés de dettes et la diplomatie des dettes souveraines.

Au centre de l’analyse de l’ouvrage se situe le concept de «diplomatie des dettes souveraines», que les éditeurs définissent en tant que l’ensemble des actions diplomatiques auxquelles les créditeurs ont recours pour pousser un pays à rembourser ses dettes. Les différentes stratégies des créditeurs consistent dans l’évaluation du risque de la dette, l’utilisation des clauses juridiques, les méthodes de négociation et l’implication des États. L’analyse de ces composantes permet aux auteurs de distinguer les évolutions historiques de la gestion des conflits liés aux dettes souveraines. Au début du XIX e siècle, les acteurs impliqués dans les conflits de dettes souveraines étaient organisés au sein de comités de détenteurs d’obligations étrangères qui obtenaient l’aide des diplomates de leur pays pour négocier les remboursements des dettes en retard de paiement. Ensemble, ils érodaient la souveraineté des pays emprunteurs en imposant des politiques économiques, notamment en Amérique latine, comme le détaille le chapitre 2. L’ouvrage se concentre ensuite sur la période post-1939, moins étudiée par l’historiographie. Par rapport au siècle précédent, les «Trente Glorieuses» se caractérisaient par des contrôles importants sur l’accès aux marchés de capitaux, rendant caduque la menace souvent employée d’exclure du marché un pays en défaut de paiement. Les conflits de dettes souveraines étaient donc désormais directement gérés entre États. Les alliances diplomatiques autour des grandes puissances orientaient les reports de dettes, échangés contre des faveurs commerciales ou politiques au sein du groupe d’alliés. Ce type de diplomatie des dettes souveraines a été plus coûteux pour les acteurs privés, qui ont dû faire face à des réductions des dettes décidées par les agents des gouvernements. Ensuite, les débats sur les dettes des pays du Sud se sont renouvelés lors de la décolonisation, avec la question de la transmission des dettes des autorités coloniales aux nouveaux gouvernements indépendants. La Commission de Droit International des Nations Unies n’a pas réussi à formuler de règles générales sur le traitement de ces transitions, alors que certains diplomates comme Bedjaoui militaient pour élargir la définition des dettes odieuses. Les États non-alignés ont ainsi déclaré attendre un remboursement de la part des pays du Nord pour compenser l’exploitation des ressources et des populations durant l’époque coloniale. Cette demande leur permettait de quitter leur statut d’emprunteur vers celui de créditeur afin, en définitive, de présenter la nationalisation des intérêts privés comme une réparation payée par les anciennes métropoles. Ces dernières ont bloqué ces demandes et ont maintenu au sein des institutions de Bretton Woods l’expertise macroéconomique sur la soutenabilité des dettes, marginalisant le rôle de l’UNCTAD, soit l’institution internationale associée au groupe G77 des pays en développement. En outre, la dérégulation des marchés financiers ne s’est pas accompagnée d’un retrait total des États dans les litiges de dettes souveraines. Dans le chapitre 11, G. Datz décrit notamment comment la Belgique, la France et le Royaume Uni ont mis en place des législations limitant les manœuvres des fonds vautours. Les dettes odieuses font finalement l’objet d’un chapitre dédié, où Gulati et Panizza montrent comment le marché a internalisé la menace de répudiation de la dette vénézuélienne émise par le président Maduro.

Malgré la grande diversité des études, on peut regretter l’absence d’un chapitre analysant de façon plus détaillée la période de l’entre-deux-guerres, afin que l’ouvrage traite plus complètement des deux siècles qu’il annonce traiter et pour qu’il soit plus indépendant de la littérature secondaire. On aurait également pu espérer un chapitre spécifique ment dédié à la dette de la Grèce durant la crise de la zone euro, la Troïka consistant en un acteur passionnant, particulièrement dans le cadre d’une réflexion autour de la diplomatie des dettes souveraines. Un manque peut-être plus important réside dans l’analyse de la Chine au XXI e siècle. Détenteur majeur des dettes des États-Unis, la Chine est à la fois un créditeur de poids pour un nombre grandissant de pays en développement. Elle s’oppose aujourd’hui au FMI dans les négociations autour des reports de dettes de pays tels que la Zambie. Toutefois, comme l’ouvrage de Pierre Pénet et Juan Flores Zendejas a été initié lors de panels organisés en 2017 et 2018, on ne leur reprochera pas de n’avoir voulu jouer le rôle de Cassandre.

Ce travail collectif reste un tour de force d’interdisciplinarité, proposant des concepts originaux et inspirants ainsi que des récits captivants qui ouvrent la voie à de futures études. Il enrichit la littérature sur les dettes publiques et constitue une pierre fondatrice pour développer les recherches sur la diplomatie financière.

Zitierweise:
Avaro, Maylis: Rezension zu: Pénet, Pierre; Flores Zendejas, Juan (éds): Sovereign Debt Diplomacies: Rethinking Sovereign Debt from Colonial Empires to Hegemony, Oxford 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(3), 2023, S. 411-413. Online: https://doi.org/10.24894/2296-6013.00134.